Toute à Dieu…

Vue de la ville de Tours au début du XVIIe siècle

La ville où naît Marie Guyart le 28 octobre 1599 peut s’enorgueillir d’un passé glorieux mais vit la fin d’un grand destin : le roi est reparti à Paris et le parlement a également regagné la capitale dès mars 1594. Tours sort meurtri des guerres de religion et se trouve dans un état financier catastrophique.
La situation économique s’est fortement dégradée et la majorité catholique doit apprendre à cohabiter avec la minorité réformée. Celle-ci est souvent le fait d’une élite urbaine et bourgeoise. On devine, sous-jacents au conflit religieux, des antagonismes sociaux. Le petit peuple de Tours, ainsi que le monde rural, reste attaché à la religion traditionnelle.

Les familles que fréquentent les Guyart, chez qui ils sont parrains ou marraines ou dans lesquelles ils choisissent les parrains ou marraines de leurs enfants sont aussi des familles d’artisans.
Les Guyart sont pieux, ils vivent en amitié avec un certain nombre de prêtres ou de religieux. Ils connaissent les centres spirituels particulièrement actifs de Tours : le couvent des minimes, l’abbaye des moniales de Beaumont et bien sûr, le tombeau de Saint Martin, 3ème évêque de Tours..
Ils sont aussi assez instruits. Tous les hommes (sauf Paul Buisson) savent signer, que ce soit du côté Guyart ou du côté Michelet.

Marie est la quatrième enfant de Florent Guyart, maître boulanger, et de Jeanne Michelet. À cette époque, la famille est encore installée dans le centre historique de la ville, tout près de l’église Saint-Saturnin où Marie est baptisée le lendemain de sa naissance. L’acte de baptême, conservé aux Archives départementales d’Indre et Loire en fait foi. On peut lire ci-dessous :

Le choix du prénom n’est pas anodin. Donner un prénom à un nouveau-né est un rite important. L’enfant est invité à prendre son saint patron pour modèle de vertu et de sainteté. La vie de Marie donnera merveilleusement corps à cette grâce baptismale.
Quelques années après la naissance de Marie, les Guyart quittent le cœur de la cité pour s’installer à Saint-Pierre-des-Corps, non loin de Tours. Pourquoi ce déménagement ? Vraisemblablement parce qu’il y avait des cas de peste dans le quartier.

Les Guyart apparaissent comme une famille d’artisans qui n’a pas de soucis financiers sans être particulièrement riche, une famille attachée aux valeurs morales et spirituelles que la religion soutient.
Les enfants Guyart sont instruits, ils bénéficient vraisemblablement d’un enseignement donné par leur oncle greffier ou par quelque autre personnage cultivé.
C’est à cette époque qu’il faut placer la première grâce inaugurale : le songe de ses 7 ans. Marie commence son autobiographie par le récit de ce rêve, tant elle le considère comme le début de sa vie mystique. Impossible de faire l’impasse sur ce récit. Laissons la parole à Marie :

 

« Dès mon enfance, la divine majesté voulant mettre des dispositions dans mon âme pour la rendre son temple et le réceptacle de ses miséricordieuses faveurs, je n’avais qu’environ sept ans, qu’une nuit, en mon sommeil, il me sembla que j’étais dans la cour d’une école champêtre avec quelqu’une de mes compagnes, où je faisais quelque action innocente. Ayant les yeux levés vers le ciel, je le vis ouvert, et Notre-Seigneur Jésus-Christ, en forme humaine, en sortir. Il venait à moi dans les airs, et le voyant, je m’écriai à ma compagne : « Ah ! Voilà Notre-Seigneur ! C’est à moi qu’il vient ! ». Et il me sembla que, cette fille ayant commis une imperfection, il m’avait choisie plutôt qu’elle, c’était pourtant une bonne fille. Mais il y avait un secret que je ne connaissais pas. Cette sur-adorable majesté s’approcha de moi, et mon cœur se sentit tout embrasé de son amour. Je commençai à étendre mes bras pour l’embrasser. Alors, lui, le plus beau de tous les enfants des hommes, avec un visage plein de douceur et d’un attrait indicible, m’embrassant et me baisant amoureusement me dit : « Voulez-vous être à moi ? » Je lui répondis : « OUI. » Alors, ayant entendu mon consentement, nous le vîmes remonter au ciel. »

Le récit est clair. Dès ce moment, Marie est « toute à Dieu ». Il l’a appelée, et elle a répondu : me voici. La suite du récit autobiographique montre bien que ce songe constitue une véritable expérience spirituelle. De là, il s’ensuit une « pente au bien », un besoin de parler à Notre Seigneur, de s’entretenir avec Lui, parfois pendant de longs moments, d’écouter sa parole. Elle Le prie dans le secret de son cœur, va écouter les prédicateurs, participe avec ferveur aux cérémonies de l’Eglise. « Cela augmentait ma foi et me liait à Notre seigneur d’une façon tout extraordinaire. » Elle se donne à toutes sortes de bonnes œuvres, se préoccupe des pauvres. Elle échappe un jour par miracle à un accident alors qu’elle portait du pain (pris dans la boutique de son père) à des pauvres. Elle vit tout cela dans une grande simplicité si bien que nul ne remarque quelque excentricité dans sa conduite.

La mémoire de son rêve avive en Marie le désir d’une grande intimité avec Notre-Seigneur. Ce rêve garde vivant en elle le désir de se donner sans réserve à Dieu.

« Ayant appris, dès mon enfance, que Dieu parlait par les prédicateurs, … j’avais une grande inclination de les aller entendre, étant si jeune que j’y comprenais fort peu de chose, excepté l’histoire que je racontais à mon retour. »

Adolescente, elle s’ouvre à sa mère de son désir d’être religieuse. Elle est écoutée, mais il n’est pas donné suite à sa demande car sa mère estime que « l’humeur gaie et agréable » de Marie est « incompatible avec la vertu de religion ».
Marie n’insiste pas, elle obéit reconnaissant dans la décision de ses parents la volonté de Dieu. Elle se montre tout aussi docile lorsque son père l’engage dans les liens du mariage, comme il était d’usage à l’époque. En 1617, elle a 18 ans, la voici mariée à Claude Martin, maître ouvrier en soie, à la tête d’une fabrique où les ouvriers et les brodeuses vivent comme des membres de la famille.

Madame Martin commence son apprentissage de maîtresse de maison, elle apprend à connaître les milieux de la soierie de Tours et met à profit son don pour la broderie. Elle y a vraisemblablement été initiée par sa marraine Marie Chouesnard, épouse d’Alexandre Motheron, marchand tapissier, qui créa à Tours une succursale de la fabrique de tapisseries des Gobelins à la petite Bourdaisière, avant que le logis ne devienne le couvent des Ursulines.

La jeune mariée donne naissance le 2 avril à un fils prénommé Claude comme son père. La veille de sa naissance, elle se rend en pèlerinage à Marmoutier pour confier cet enfant à Notre-Dame-des-Miracles. Déjà elle désire en son cœur le consacrer au Seigneur.

Mais le bonheur du foyer ne tarde pas à se voiler…

Bibliographie

  • ARDOUIN-WEISS Idelette, Le milieu familial de Marie Guyart
  • MAILLARD Brigitte, Tours au temps de Marie Guyart
  • Sœur SEYNAEVE Marie, Mystique et broderie dans la vie de Marie de l’Incarnation

Crédits photographiques

  • Vue de la ville de Tours : Centre Marie-de-l’Incarnation de Québec.
  • Vue de l’acte de baptême : Archives départementales d’Indre-et-Loire.
  • Église de Saint-Pierre-des-Corps : Centre Marie-de-l’Incarnation de Tours.
  • Image « Veux-tu être à moi ? » : Archives des Ursulines de France.
  • Broderie : Centre Marie-de-l’Incarnation de Tours.

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